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Sophie Chyzak

Le schéma familial


Notre vie sentimentale est-elle influencée par celle de nos parents ?

Le passé amoureux de nos parents joue-t-il sur notre propre fonctionnement ? Notre parcours sentimental serait-il téléguidé ?

Interview de Marie-Geneviève Thomas, psychologue et spécialiste en psychogénéalogie.

Et si l'issu de nos relations de couple se jouait dans notre histoire familiale, dans des valises portées inconsciemment par les descendants et qui téléguident nos choix de vie ? C'est ce que l'on appelle la psychogénéalogie, ou l'étude d'événements vécus par nos ancêtres et cachés, qui auraient des retentissements sur notre propre fonctionnement.

Le 13 novembre 2018, une étude (1) menée par l'université de l'Ohio aux États-Unis (lien en anglais) constatait une corrélation entre le nombre de partenaires des mères et celui de leurs enfants. Pour expliquer leurs résultats, les auteurs avançaient la transmission de certains comportements de la mère aux enfants. Si notre parcours sentimental dépend d'une multitude de facteurs, la psychologue et spécialiste en psychogénéalogie, Marie-Geneviève Thomas (2), voit tout de même dans ces résultats le poids du transgénérationnel. «On répète l’histoire d’une grand-mère, ou d’un grand-père, et cela peut aussi sauter une génération. Nous avons la trace de certaines connexions et nous risquons de les reproduire».


Au-delà de notre patrimoine génétique, nos parents nous transmettent-ils d'autres choses plus inconscientes ? Absolument, et je dirais même qu'il s'agit d'une partie bien plus colossale que ce que l’on peut voir et imaginer. Notre inconscient fait partie de celui qui est familial, et ce dernier englobe tout le vécu de nos ancêtres, au moins jusqu’aux arrières grands-parents. C’est ce que l’on appelle le transgénérationnel, autrement dit ce qui est pris dans les secrets, les non-dits, dans ce que l’on ignore de l’histoire. Cela diffère de l'intergénérationnel, qui relève de ce que l’on connait, de ce qui a été raconté, vécu. Nous sommes connecté(e)s à toutes ces informations qui viennent interférer dans nos choix, et particulièrement dans le domaine affectif.


Comment l’expliquer ?

Quelque chose agit à travers nous

D’abord, il existe une influence parentale indéniable, à laquelle la psychologie classique s’intéresse d’ailleurs. Le schéma des parents vient colorer la façon dont on répond à des séductions amoureuses. On reconnait par exemple un modèle ou une personnalité, de manière plus ou moins consciente, et parfois on cherche à s’opposer à ce que l’on a connu de ses parents. Au-delà de tout cela, nous sommes également pris dans ce que l’on appelle des "loyautés invisibles", c’est-à-dire que pour gagner son droit d’appartenance au clan, à la famille, il faut ressembler à son père ou à sa mère, ou faire comme eux. C’est de l’ordre de l’inconscient. Carl Gustav Jung (père de la psychologie analytique, NDLR) disait "tout ce qui n’est pas révélé se manifeste sous forme de destin". Anne Ancelin Schützenberger, la mère de la psychogénéalogie, disait quant à elle que nous sommes "téléguidés par nos ancêtres". Quelque chose agit à travers nous et à notre insu, certaines choses nous dépassent.


Quoi que l’on puisse faire, notre vie sentimentale est donc inévitablement influencée par celle de nos parents ? Oui, à la base elle l'est, nos premiers choix le sont, mais nous n'en avons pas conscience parce que nous sommes jeunes. Ensuite, même si l’amour est là, les difficultés relationnelles observées sont toujours liées aux loyautés de sa famille. Si l’on est en couple avec quelqu’un qui ne ressemble pas au modèle familial, on est un peu en marge et involontairement, les partenaires se sabotent pour rester fidèles à leurs parents. Tout ça est très insidieux. Certes, l'issu des relations de couple dépend de plusieurs facteurs. Il n’empêche que lorsque l’on sent qu’il y a un blocage, que l’on est coincé et malheureux dans ses relations, on regarde comment nous fonctionnons vis-à-vis du partenaire. Et si cela ne suffit pas, on regarde ce qu’il y a au-dessus et qui pourrait apporter des explications.


Cette influence peut-elle aussi en pousser certain(e)s à construire une relation de couple à l'opposé de celle des parents ?

On pourrait croire qu'en faisant l'inverse du couple parental, nous sommes libres, mais puisque nous agissons en nous opposant, nous sommes en réaction et donc tout aussi "enchaînés". La vraie liberté est de Co-construire un modèle inédit dans la famille et qui conviendra aux deux conjoints. Ou bien d'être en conscience de ce que l'on choisit pour sa famille actuelle, même si cela englobe des choix déjà expérimentés par nos parents. Finalement, la meilleure solution est d'aller à la rencontre de son héritage pour le regarder et l'alléger.


L’écueil n’est-il pas de rejeter la faute sur ses parents quand on ne réussit pas à construire sa vie sentimentale ? Ce n’est jamais la faute des parents, eux-mêmes on fait ce qu’ils ont pu avec ce qu’ils ont eu et ce dont ils ont manqué. On ne considère pas les parents comme coupables et on se déculpabilise de ce que l’on ne réussit pas à mettre en œuvre ou à vivre. Au lieu de s’intéresser à l’échec, on va surtout regarder le poids de l’histoire, le système familial. Autrement dit, on ne regarde pas les tempéraments, mais les événements, et ce qu’il y a à libérer de ces derniers. Le but est d’harmoniser le système familial.


Quelles sont les manifestations concrètes de ces "loyautés invisibles" qui nous régissent ?

À certains moments on est pris dans l’histoire d’un oncle ou d’une tante, qui n’a pas pu avoir d’enfants par exemple. On peut épouser quelqu’un qui a la même composition de famille que soi ou rencontrer l’élu de son cœur dans les mêmes circonstances que ses parents. On voit parfois des situations rejouées. J’ai ainsi connu une femme qui a eu un enfant de trois pères différents, et elle-même était issue d’une fratrie avec la même configuration. On peut aussi observer une fidélité au niveau des dates de naissance. En réalité, on vient toujours prouver "je suis loyale à ma famille". Et malheureusement, comme tout ce qui n’a pas été résolu ou vécu correctement laisse un émotionnel encore actif, comme si nous devions terminer ce que nos parents ou grands-parents n'avaient pas réussi de leur côté, ces loyautés invisibles entraînent parfois des blocages.

Le fait de multiplier les relations et de se sentir en échec par exemple, ou encore le fait de ne pas avoir d’enfants alors que l’on en souhaite. J’ai l’exemple d’un couple constitué en seconde relation, chacun avait déjà été marié une fois mais ni l’un ni l’autre n’avait réussi à avoir d’enfant. Curieusement, chacun de leur côté avait un vécu similaire. Lui a appris par sa mère à 15 ou 16 ans qu’elle avait déjà été mariée et avaient d’autres enfants qu’elles ne voyaient plus. Quant à sa partenaire, elle avait appris par sa sœur à 22 ans que leur père avait eu une première fille dans un pays étranger, qu’il n’avait pas reconnu. Dans leur premier couple, ils n’avaient pas mis d’enfant au monde, car ce "premier enfant" avait ce risque de se trouver sans son père ou sa mère. Bien sûr, on peut réussir à se construire sans blocage. Mais dans le cadre de mon travail je reçois plutôt des personnes en difficulté, et quand on voit le nombre de divorces ou de séparations, on voit bien que ce n’est pas évident. Heureusement, aujourd’hui on peut travailler cet héritage, l’alléger.


Comment ?

Il existe différentes possibilités en psychogénéalogie. On peut construire un génosociogramme (une variante de l’arbre généalogique utilisé en psychogénéalogie, NDLR), on peut opérer un travail symbolique et ajouter quelques phrases dans ce graphique, comme « je me libère de votre influence ». On peut aussi écrire une lettre à un parent ou à un grand-parent, le but n’est pas de la poster mais d’inscrire l’histoire douloureuse qu’a vécue le parent ou le grand parent, ainsi que nos propres blocages. À l’oral, on peut aussi représenter le membre de la famille par un siège vide, instaurer des jeux de rôle. L’objectif est d’identifier ce que l’on porte mais que l’on n'a pas vu, pour le dénouer et réharmoniser le système familial. Pour se réapproprier son pouvoir et continuer sa trajectoire amoureuse.



(1) L'étude a été publiée dans la revue Plos One. Les chercheurs ont utilisé les données sur les relations amoureuses de 7 152 personnes durant 24 ans. Ces données sont issues de deux enquêtes : l'enquête longitudinale nationale sur les jeunes de 1979, et l'enquête longitudinale nationale sur les jeunes : enfant et jeune adulte. (2) Marie-Geneviève Thomas est l'auteure de Psychogénéalogie, l'héritage invisible, (Éd. Jouvence), 4,95 euros.

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